Pour cet article, je vous ramène jusqu’en 1986 environ, alors que j’avais 12 ans. En plus d’étudier avec acharnement (c’est le domaine où j’avais le plus haut degré de confiance en moi, car je me savais dotée d’une mémoire phénoménale et, donc, d’une extraordinaire capacité d’apprentissage ultra-rapide), une multitude de choses se passaient dans mon univers, de façon à mettre en place ce qui allait constituer les premiers repères de la femme qui fleurissait en moi.
Mes parents s’étant séparés en 1984, alors que j’avais 10 ans, je vivais auprès de ma mère et mon frère, puis par la suite s’étaient ajoutées ma grand-mère maternelle et ma tante Marjolaine, la soeur de ma mère. Nous avions donc une vie familiale bien en place à la maison, mais mon père me manquait énormément, même si nous gardions un contact très serré ensemble. Ma maman, de son côté, vivait une série d’épreuves personnelles dans sa propre vie, après sa séparation d’avec mon père, tout en essayant de ne pas nous en faire subir de conséquences à mon frère et moi. En même temps qu’elle soignait la peine qui accompagne une séparation, elle avait décidé de mener toutes les batailles de front en même temps, cessant d’un seul coup toute consommation d’alcool et de drogue. Quel courage et quelle volonté! Elle récolte encore le fruits de ses efforts aujourd’hui, car elle n’a plus rien consommé d’illicite depuis cette lointaine époque. Je suis extrêmement fière d’elle aujourd’hui et je l’étais également en 1986, même si je n’étais qu’à l’aube de ma vie de femme. Je comprenais déjà les enjeux de tout ce que lui demandaient ces efforts qu’elle devait faire quotidiennement afin de reprendre le contrôle sur sa vie pour obtenir les résultats qu’elle souhaitait.
C’est ainsi que j’appris à côtoyer la souffrance d’autrui, en écoutant les partages des différents conférenciers lorsque j’accompagnais ma mère à des réunions des Alcooliques Anonymes. Contrairement à bien des jeunes de mon âge, je ne trouvais pas du tout ces réunions ennuyantes, cherchant plutôt à comprendre comment ces gens qui racontaient leur histoire de vie en étaient venus à trouver du réconfort dans l’ivresse et qu’est-ce qui, un jour, les amenait à décider enfin de changer le cours de leur vie. Bien entendu, l’intérêt que je portais à ces émouvantes tranches de vie m’amenaient à tenter de faire des liens, des comparaisons, des rapprochements entre leurs histoires et celle de ma mère, tout cela afin de tenter de mieux la comprendre. Cherchait-elle aussi un refuge, du réconfort même, dans ces états altérés dans lesquels elle se retrouvait si souvent? Que cherchait-elle à fuir? Pouvais-je l’aider? L’encourager? La réconforter? Je ne savais pas trop, mais je voulais de tout mon coeur comprendre la situation et agir au mieux pour voir ma maman heureuse.
C’est donc ainsi que j’ai vite appris non seulement à ouvrir toutes grandes mes oreilles, mais aussi mon coeur à ce que pouvaient éprouver les gens dans toutes sortes de situations et à percevoir ce qu’ils dégagent et à bien analyser ces perceptions. Toutefois, ma maman étant très éprouvée à travers ces moments difficiles qu’elle traversait, n’était pas toujours un modèle de patience… J’ai donc souvent dû essuyer les contrecoups de ses accès d’impatience et même de colère parfois, ce qui faisait que je préférais taire mes propres sentiments, afin d’être certaine de ne pas être rabrouée ou rejetée. Je gardais donc tout pour moi, autant que possible, tout en faisant mer et monde pour donner à tous ce qu’ils attendaient de moi. J’étais donc le petit ange que tout parent aurait rêvé d’avoir: la petite fille studieuse, courageuse, qui travaille sans relâche et affronte tous les obstacles que la vie met sur sa route avec le sourire aux lèvres, la joie au coeur et la tête haute.
Il est inutile de dire que ce rôle de Mademoiselle Parfaite était devenu pour moi un jeu d’enfant et, tout doucement, devenait pour moi une seconde peau. Je dirais même que cet habit a fini par se transformer en une bulle enveloppante, devenant de plus en plus imperméable, de manière à constituer une merveilleuse carapace pour me protéger. Mais, me protéger de quoi, me direz-vous? Eh bien… de mes propres émotions et sentiments, de tout ce que je taisais aux autres pour être certaine de ne jamais déplaire à quiconque; de ma propre estime de moi-même qui n’était bonne que lorsque je faisais la fierté de mon entourage. En étant parfaite, on m’aimait et, inévitablement, si on m’aimait, je m’aimais aussi. Mais ce qu’on n’aimait pas sur moi, je le détestais autant que cela puisse être possible de détester. Par exemple, avec l’arrivée de l’adolescence sont arrivées quelques rondeurs superflues qui se traduisaient par un surplus de poids qui désespérait ma mère. Il est évident que ce qu’elle ressentait face à mon début d’embonpoint était de l’inquiétude d’une maman qui veut le meilleur pour sa fille et qui savait que tous les aliments bons pour la santé figuraient sur la liste de ceux que je détestais au plus haut point. Elle craignait que je manque des vitamines essentielles et que je finisse par en éprouver de graves problèmes de santé au fil des ans. Mais son inquiétude s’extériorisait par de fréquents discours moralisateurs ayant pour but de me sensibiliser à apprendre à aimer manger de bonnes choses afin de vite perdre ce surplus de poids nuisible à ma santé. Le tout bien agrémenté de phrases telles que «Ce n’est pas des farces Katia; tu t’en viens grosse. C’est épouvantable! Tu dois faire quelque chose!» «Tu sais Katia, être gros, ce n’est pas beau du tout. Il faut que tu réagisses et très vite.» J’ai donc fini par me marteler ces phrases dans la tête, me les repassant en boucle, en me répétant que c’était sûrement vrai, que je ne faisais pas bien les choses, peut-être pas assez d’efforts, que je pouvais faire plus et mieux encore.
Ainsi donc, je me mis à détester mon apparence, parvenant même à me convaincre que j’étais suffisamment repoussante pour être totalement inintéressante, en fin de compte. Quelle grossière erreur! Je le sais maintenant, mais à 12 ou 13 ans, on peut croire à ce genre de sottises bien longtemps… suffisamment pour occasionner des plaies qui mettent des années à cicatriser et croyez-moi, je dirais que la guérison est totale à présent, mais fraîchement accomplie. Donc, les plaies étaient vives et profondes durant de très nombreuses années.
Pendant ce temps où j’étudiais, tout en m’ouvrant aux autres et en me refermant sur moi, je continuais à rêver de musique. Je voulais chanter, ça, j’en étais certaine. Mais je ne voulais pas que chanter; je voulais apprendre comment était faite la musique; d’où elle venait, comment on la construisait, comment on l’interprétait. Je voulais l’étudier, comme je savais si bien le faire. C’est alors que je me décidai à m’inscrire au Cégep de Saint-Laurent en vue d’obtenir un diplôme d’études collégiales en musique.
Au moment d’aller passer les auditions, je possédais quelques connaissances de base en théorie musicale, ayant déjà suivi des cours de chant et de piano. Cela dit, j’avais beau connaître la théorie musicale de base, je n’avais absolument aucune connaissance du genre classique. Je me présentai donc au Cégep, avec, dans la tête, les paroles de la chanson que je voulais interpréter pour passer l’audition. Il s’agissait d’un succès de Patrick Norman intitulé «Vivre», que le professeur de chant ne connaissait absolument pas, puisque, de son côté, elle connaissait autant le Country que moi je connaissais le classique: ce qui veut dire PAS DU TOUT (rire). De plus, je n’avais apporté aucune partition musicale de ma chanson, alors j’entrepris de la chanter a capella. Imaginez un peu la scène… Je devais sembler très étrange à cette enseignante de chant classique qui m’a fait auditionner. Aussi insolite que tout cela ait pu lui sembler, un phénomène chez moi a tout de même attiré son attention de manière foudroyante: c’est elle qui m’annonça que j’avais l’oreille absolue, ce dont j’ignorais totalement la signification. C’est alors qu’elle m’expliqua qu’une personne qui possédait l’oreille absolue était capable de reconnaître toutes les notes qu’elle entendait, sans qu’on ait à lui dire. Moi, je croyais que tout le monde était capable de faire ça, puisque je l’avais toujours fait depuis le plus loin que ma mémoire pouvait se rappeler.
Bref, je crois avoir beaucoup épaté cette dame qui a découvert mon oreille absolue, car j’ai été acceptée au Cégep, malgré mes piètres connaissances du genre classique. J’aurai 3 belles années devant moi pour le découvrir, de toute façon.
Parallèlement, l’amour allait aussi faire son apparition dans mon décor, le tout sans prévenir et à travers la dernière personne au monde de qui j’aurais pu imaginer être amoureuse un jour… L’amour s’est donc présenté à moi à travers Miguel, un ami d’enfance avec qui j’étais allée à l’école primaire, à qui je jouais constamment des tours plus ou moins gentils lorsque j’étais petite, parce que je le considérais, pour toutes sortes de raisons, comme étant un petit garçon plutôt simplet, ce qui me permettait donc de le proclamer comme étant ma tête de turc favorite. Je n’aurais donc jamais cru en être un jour amoureuse, mais après plusieurs années sans être en contact, il m’a retrouvée, par l’entremise d’un de nos amis communs et après plusieurs conversations téléphoniques et la première rencontre qui allait marquer nos retrouvailles, j’ai été comme foudroyée. C’était ainsi que je ressentais les choses, éprouvant tout un cocktail d’émotions contradictoires. D’un côté, je ne pouvais y croire, mon estime de moi me faisant cruellement défaut. D’autre part, mon coeur s’emballait à un tel point que je savais que l’amour était bien là et qu’il me fallait donner libre cours à ce sentiment extraordinaire qui prenait toute la place en moi. J’étais bien loin de me douter que ce premier amoureux officiel allait devenir, plusieurs années plus tard, le père de mon enfant.
C’est sur cette terre bouillonnante d’une effervescence incroyable, que j’allais tenter de construire les fondations de ma vie d’adulte en devenir. C’est ici que mes premiers repères s’instauraient: ma détermination à vouloir faire de la musique de mon mieux, à aimer la vie, les autres, à les comprendre, à apprivoiser l’amour, sans en éprouver d’abord pour moi-même. Comment allais-je démêler tout cela au fil du temps? C’est ce que je vous offrirai dans les prochains «Petits bouts de moi».
Au plaisir de vous lire!